Le Retour

Le Capitaine Crochu, pirate, capitaine de Spelljammer d'après la légende, une jambe de bois, un crochet à la place de la main gauche. Un de ces grands bonhomme de l'Achéron. Enfin grand… Crochu était un Gobelin avec un nez en forme de crochet qui venait lui toucher le menton. Attablé avec quelques uns de ses soldats, il venait d'entamer le récit de la fois où il avait combattu le vampire Archidiacre et le Premier Gastronomancien, lorsqu'une tempête chronomantique (d'après lui) s'était abattu sur le pont et qu'une armée d'elfes aux dents pointues emmenée par un rat-crâne humanoïde s'était jetée sur lui et ses hommes. Son Spelljammer, la Lune Bleue, avait connu des jours meilleurs.

_La Lune Bleue ? On dirait un nom de cabaret hafling !
_Roh mais laisses-le raconter, je veux connaître la suite moi !


Quelques marques de combat par ci par là, une belle armure sombre maculée de sang, un sac grisâtre puant la pisse, un zeste de hargne et quelques idées cruelles en tête. Voilà comment on aurait pu décrire Virion, le Hobgobelin qui venait d'entrer, accompagné de Virus, son fidèle Worg. La lame noire de Virion, Vilénie, pourtant toujours dans le fourreau de son propriétaire, semblait tout aussi menaçante. Quelques bibards, orcs et gobelins  semblèrent dessoûler quelques secondes en le voyant. Lui, le survivant d'Achéron. Oh bien sûr, ils en avaient vu d'autres des vétérans dans son genre, parfois pire, mais cui-là semblait particulièrement satisfait de son séjour. Le Hobgobelin s'assit non loin de Capitaine Crochu, mais seul. Il se pencha vers un Orc encore une table à côté :
"hé soldat, tu saurais pas son nom à celle-là ?" Virion désigna une serveuse elfe vêtue de ce qui devaient êtres des morceaux de chiffons, et dont la peau pâle avait été lacérée de coups de fouets assez récemment.


Pendant ce temps, Crochu parlait à ses soldats :
_Et là, ni une ni trois je saute sur le pont et sort mon sabre, et puis mon autre sabre parce qu'à l'époque j'avais toujours mes deux mains. Je me battais avec férocité - j'étais jeune à l'époque - et les oreilles pointues tombaient comme des mouches devant moi. Et vous pouvez me croire, à l'époque les elfes étaient de vrais elfes, pas les trucs tous mous et fades que vous affrontez maintenant. Et puis c'est là que je l'ai vu : il faisait 2,50 m, au moins, et il tenait un énorme chaudron dans ses mains palmées. Oui, les gars, c'est là que je l'ai vu, le premier Slaad Champion Gastronomancien !  
L'un des gibelins poussa un long soupir, un autre se massa les arrêtes du nez et le dernier secoua la tête d'un air désolé :
_Tu deviens sénile mon pauvre vieux…

Et Staxx il raconte quoi à l'autre ribaude là ? demanda le moins attentif en montrant le Hobgobelin.
Oh je crois qu'elle est tombée dans une histoire de chantage ou un truc comme ça, c'est comme ça que le patron la tient. Et elle travaille pour rembourser ses dettes. Enfin ses dettes qu'elle pourra jamais rembourser hein, hé hé. A moins bien sûr que quelqu'un soit prêt à débourser une centaine d'Arshell, et qui voudrait payer ça pour une oreilles-pointues ?


La serveuse écoutait attentivement Virion Staxx. Il lui parlait de liberté et de combats sanglants, de rêves de gloire et de drames. Il prenait parfois des airs de poète au rabais, mais il était meilleur orateur qu'il ne le paraissait de prime abord.

_Ratatrouille ? Ah bon ? Je croyais qu'il était parti sans le vouloir…

_Sans le vouloir ? Ha non…non on part pas "sans le vouloir" en Achéron. Je vais même te dire : il faut avoir des tripes ! Et Ratatrouille c'est tout ce qu'il avait ! Des tripes ! Je vais pas aller jusqu'à dire qu'il avait du courage, hein ! Mais des tripes il en avait ! Et il aurait soulevé des montagnes pour toi.

_L'elfe sembla retrouver quelques couleurs un instant.
Et… et alors ? Que lui est-il arrivé ?

_Ben… tu sais c'était la guerre là-bas, et durant les guerres il y a souvent des pénuries… de tripes ou d'autres choses. Ou même d'urinoir pour Worg, tiens !

Virion plongea sa main dans le sac grisâtre et en ressorti la tête du gobelin, figée dans une expression de souffrance et de regret. Il la lança sur l'elfe avec une force podigieuse qui fit trébucher la jeune serveuse et renverser le contenu de son plateau. Elle était déjà habituée aux mauvais traitements et à une vie de malheurs, elle ne broncha pas un seul instant… mais ne pu réprimer quelques larmes lorsqu'elle entendit le Hobgobelin lui dire qu'il allait payer une tournée générale avec le salaire de Ratatrouille.

Les rires gras, les voix éraillés et les jurons achéroniens emplirent la taverne.

_Ha… l'Achéron me manque déjà. Faudra qu'on y retourne, pas vrai Virus ?